Beaucoup de touristes au Japon sont passés par Aichi sans même le savoir. Le Shinkansen (train à grande vitesse) Nozomi qui effectue le trajet de Tokyo à Kyoto a une vitesse de 285 km/h s'arrête en effet brièvement à Nagoya. La plupart des gens profitent du paysage depuis leur fenêtre, sans se rendre compte que la région a une grande importance historique pour le développement culinaire du Japon.
La péninsule de Chita, juste au sud de Nagoya, la capitale de la préfecture, a un climat modéré et une eau de haute qualité, grâce auxquels l’industrie brassicole s’y est développée. Grâce aux différents facteurs géographiques, la région a aussi développé un réseau de transport pour envoyer les produits jusqu'à Tokyo, qui s’appelait Edo auparavant. Les marchands avaient investi dans l’infrastructure et les bateaux nécessaires pour envoyer les produits autour d’un pays ayant des besoins alimentaires. Le saké de aichi, le mirin, la sauce soja et le miso étaient ainsi disponibles dans l'est (Kanto) et l’ouest (Kansai). Du vinaigre particulier produit à partir de la lie du saké est aussi devenu l’une des bases du riz à sushi au sein de Edo. Des centaines de brasseries se sont développées, et une culture culinaire unique a vu le jour.
J’ai passé trois jours à découvrir les origines de certains parmi les ingrédients les plus populaires de la préfecture. Durant cette période, j’ai pu recueillir du Hatcho miso de Okazaki, du vinaigre rouge a Handa, du thé matcha a Nishio, ainsi que du saké local. Le but de tout cela était de pouvoir préparer un déjeuner sublime. Je me suis aussi essayé à l’artisanat local, notamment la teinture de Arimatsu ou la poterie de Seto.
Étant très occupé avec la récolte des différents ingrédients, ça faisait plaisir de pouvoir se reposer un peu en fin de journée. J’ai donc passé une nuit dans un hôtel avec source chaude en bord de mer et une nuit dans une boutique/hôtel à Nagoya en buvant du café fait maison.
Jour un: Arimatsu Shibori (tie-dye), Hatcho miso, matcha Nishio, et arrêt dans une source chaude en bord de mer.
Arimatsu
Arimatsu se situe à seulement 20 minutes de la gare de Nagoya en prenant la ligne Meitetsu, et se promener le long de la route principale datant de l'ère Edo (1603 - 1867) donne l’impression de faire un retour en arrière dans le temps. Arimatsu a été fondée en 1608 comme petite ville entre deux arrêts majeurs de l’ancienne rue principale Tokaido, qui connecte Edo et Kyoto. Vous pouvez ressentir encore aujourd’hui ce que ça devait être de voyager à l'époque. Vous remarquerez des rideaux norens d’un bleu vif sur la façade d’anciennes maisons et entrepôts. Si vous regardez de plus près, vous pourrez aussi remarquer les motifs complexes sur les tissus. Il s’agit là de Arimatsu shibori, une fierté de la ville. Au cours des années, les artisans locaux ont développé plus de 100 différents types de techniques de coloration, appelées shibori. Ceux-ci peuvent être des simples motifs tels que itajime shibori, qui peuvent être pliés et effectués en quelques minutes, ou bien des plus compliqué comme le kumo shibori (kumo signifie araignée, et le nom vient du fait que le motif ressemble à une toile d'araignées) qui peuvent prendre plusieurs mois pour etre termines sur des produits tels qu’un kimono. Les motifs de Arimatsu shibori étaient souvent achetés en tant que souvenirs par les voyageurs lors de leur passage.
Pour mon déjeuner fait maison, il me fallait un napperon. Hiroaki Kuno est la génération de maîtres coloristes au Shibori-Dyeing Kuno Studio. Il y travaille avec son père, Tsuyoshi Kuno, faisant des motifs pour des produits comme de simples tenugui jusqu’aux plus complexes yukata (kimono d'été). Après m’avoir expliqué l’histoire de cet artisanat, il m’a montré son atelier et m’a fait essayer directement. A la fin, je suis reparti avec une jolie serviette tenugui et deux napperons de ma couleur préférée.
Hatcho miso
Le miso est de la nourriture fermentée à base de deux ingrédients: des graines de soja et du sel. Il s’agit d’une partie essentielle de la cuisine japonaise, beaucoup de familles en consomment quotidiennement. Il existe beaucoup de types de miso différents dépendamment de la région. La fermentation et le processus de vieillissement du miso prend en compte une multitude de facteurs différents, le moindre changement peut faire varier le goût, la couleur et la texture du produit final. Aujourd’hui, la plupart du miso vendu en magasin est produit de façon industrielle pour etre vendu le plus rapidement possible. Ce n’est pas le cas du Hatcho miso, typique de Aichi.
Le district de Hatcho, qui a donné son nom au miso, se trouve à environ 1 km de Okazaki, où se trouvait le château dans lequel a eu lieu la naissance de Tokugawa Ieyasu, fondateur du dernier shogunat du Japon. A la texture ferme et robuste, entièrement fait à partir de produits naturels et imbibé de umami propre au terreau, ce miso est connu pour ses qualités qui boostent le système immunitaire et baisse le cholestérol, et il est encore aujourd’hui préparé par deux brasseurs de Okazaki, Kakukyu et Maruya.
J’ai pris part à un tour de l’usine Kakukyu Hatcho Miso pour observer la méthode de préparation ancienne ainsi que celle actuelle. Kakuyu prépare du Hatcho miso depuis 1645 et le processus de préparation n’a connu aucun changement, employant les mêmes produits basiques: graines de soja et sel, démarquant ainsi le produit de tout autre miso. Les pierres sont toujours placées à la main sur des tonneaux de six tonnes. Une fois les préparatifs terminés et les pierres placées, on laisse reposer le miso pendant deux ans. Le résultat final est un produit riche en saveur qui se marie parfaitement avec la nourriture grillée ou frite.
Juste à côté de la brasserie se trouve un restaurant nommé Okazaki Kakukyu Hatcho Mura, ou il est possible de goûter à un plat traditionnel du coin: le miso nikomi udon. Contrairement à la plupart des udon qu’on peut trouver au Japon qui ont un dashi très clair et léger, celui du miso nikomi udon a une texture très dense et est servi dans des bols en argile.
Pour mon propre déjeuner, j’ai pris assez de miso dans la boutique pour faire mon propre miso-katsu (côtelette de porc frite avec sauce miso), une autre recette locale.
Matcha Nishio
Le thé vert moulu à la pierre, appelé matcha, est fouetté jusqu'à atteindre une texture mousseuse et était généralement servi lors des cérémonies de thé, mais il est depuis devenu un produit connu globalement. Il existe plusieurs façons d’en profiter, entre l’utiliser comme ingrédient pour des desserts ou bien en boissons telles que le matcha latte. Lorsque vous pensez au matcha, il est probable que Kyoto ou Shizuoka soient les endroits qui vous viennent à l'esprit. Rajoutez Nishio, dans Aichi, à cette liste. La région est productrice d’un des matcha les plus demandés du Japon. Les feuilles utilisées pour la production poussent sous un même ombrage pour éviter une différence dans le goût et sont ensuite ramassées, préparées à la vapeur, séchées et moulues jusqu'à l'obtention du produit final.
Le musée du matcha à Saijoen (Matcha Museum WakuWaku) est l’endroit parfait pour en apprendre plus. Nous avons pu voir le processus entier, de la récolte de la feuille au produit final dans la tasse, et avons ensuite pu créer notre propre mixture pour une cérémonie de thé dans une chambre traditionnelle dédiée, appelée chashitsu.
Je suis reparti avec un petit peu de matcha de haute qualité pour préparer mon dessert par la suite.
Onsen Minami Chita
Extrémité sud de la péninsule de Chita est l'opposé de la ville bouillonnante d'activité de Nagoya. Les bateaux de pêche s’aventurent dans la baie pour la journée dans les eaux calmes et le soleil se couche à l'horizon des montagnes de la préfecture de Mie au loin. Et tout cela peut être vu depuis le toit des sources chaudes à l'air ouvert de Genji Koh, un ryokan local (auberge traditionnelle japonaise).
(Photo présentée par Genji Koh)
Même si vous préférez dormir plus longtemps après toutes les activités de la journée précédente, si vous pouvez profiter du lever de soleil depuis les sources chaudes, ça en vaut la peine pour commencer la journée en beauté.
Jour deux: Vinaigre, sake et ville potière de Seto
Vinaigre Mizkan
Si vous avez mangé du sushi, alors vous devez connaître l’importance du vinaigre dans la cuisine japonaise. En 1804, un homme du nom de Matazaemon I, de la ville de Handa a Aichi, visita Edo et mangea du sushi pour la première fois. Il réalisa qu’il lui était possible de produire du vinaigre comme produit dérivé du saké local de sa préfecture. La lie de saké des brasseries locales, appelée saké kasu, pouvait être pressée et fermentée pour produire du vinaigre. C’est ainsi que son idée de produire et exporter du vinaigre depuis Handa, qui était alors un pôle de transport florissant, lui vint.
Le MIZKAN MUSEUM a plus de points communs avec une installation artistique qu’avec un musée. Des œuvres digitales sont installées sur une réplique à taille originale d’un benzaisen, un voilier tels qu’ils étaient durant l'ère Edo et étaient utilisés pour le voyage entre Aichi et Edo. On peut aussi y regarder un court-métrage touchant sur l’engagement de Mizkan pour la production de nourriture saine pour les familles. Ensuite se trouve toute une exhibition sur les sushi, détaillant tout l’histoire du mets au Japon et a l’etranger.
J’ai choisi de prendre quelques bouteilles de Ajipon, une des sauces ponzu les plus populaires de Mizkan, et créer ma propre étiquetée à partir d’une photo de moi. Et bien entendu, j’ai aussi pris du vinaigre Yamabuki pour mon déjeuner.
Kunizakari Sake no Bunkakan Museum— Brasserie de Sake Nakano
Handa est riche en histoire datant de plusieurs siècles quand il s’agit de brasser le saké. En me promenant le long du canal, j’essayais d’imaginer les marchands qui couraient d’une brasserie à l'autre et les navires marchands partant pour Edo. Étant donné qu’il était très important d’avoir un accès rapide à une source d’eau pure pour la production de saké et vinaigre, le Mizkan dont j’ai parlé plus tôt, ainsi que d’autres brasseries ont cru bon de construire un cours d’eau directement en provenance de la source. Le projet était très ambitieux ainsi que l’un des premiers projets d’aqueduc au Japon, parcourant près de 1km pour atteindre la ville, permettant une plus grande production de saké et vinaigre.
Le Kunizakari Sake no Bunkakan Museum se trouve à une courte distance du MIZKAN MUSEUM. A l'intérieur, on m’a proposé un tour guide expliquant le processus de production et j’ai pu goûter à certains sake et umeshu (vin sucré fait à partir de prunes ume locales) produits sur place
Je suis reparti avec un peu de sake Kunizakari pour en profiter pendant mon déjeuner.
Après une petite promenade, je me suis reposé pas loin du musée du saké pour un déjeuner au restaurant de style kappo Kura no Aji (restaurant moins formel, ou on consomme au comptoir), qui n’utilise que des ingrédients locaux. Après un plateau de sashimi, j’ai pu goûter à du sawara grillé (maquereau espagnol) et du bœuf wagyu de Chita gradé A5 cuit sur pierre. Ce festin s'harmonise très bien avec le saké local.
Ville potiere de Seto
Toute cuisine faite maison a besoin d'être servie dans un plat digne de ce nom. La ville de Seto, au nord de Aichi, est une ville reconnue pour la poterie au Japon. C’est là que se trouve le Seto-Gura Museum, qui propose une explication à propos du setomono, un terme désormais attribué à la poterie au Japon mais qui peut se vanter d’une histoire datant de plus de 1 000 ans. Vous pouvez facilement vous y rendre depuis la gare de Owari-Seto, au bout de la ligne de Meitetsu Seto
Le musée propose une maquette de la gare de Owari-Seto telle qu’elle était à son origine ainsi que plusieurs parties de la vieille ville comme les boutiques, les fourneaux et autres. A l'époque, le petit train transportait les poteries jusqu'à Nagoya, d'où celles-ci étaient ensuite exportées tout autour du Japon ainsi qu'à l'étranger. On raconte que la rivière prenait une couleur blanche à cause de l’argile et le ciel était couvert de la fumée des fourneaux.
Encore aujourd’hui, les fourneaux du Ichirizuka Hongyo Gama restent fidèles à l’ancien savoir-faire qui était alors courant à Seto. Le feu de bois en dessous chauffe plusieurs fourneaux différents, permettant de créer une multitude de formes de poterie différentes dépendamment du temps de cuisson. Les fours grimpants ne sont plus utilisés aujourd’hui, mais la structure reste utilisée pour continuer à produire la poterie. Masayuki Mizuno a eu la gentillesse de m’enseigner comment donner forme à l'argile, je l’ai observé alors qu’il créait un plat et une tasse devant moi, avant de m’y essayer aussi. Après plusieurs essais ratés et beaucoup de patience, j’ai enfin pu créer mon propre bol pour donburi, parfait pour manger les ramen chez moi. Mais étant donné qu’il faudra plusieurs semaines pour M. Mizuno afin qu’il finalise ma création (cuire l’argile) j’ai donc acheté un plat déjà terminé pour l’utiliser au déjeuner.
Nikko Style Nagoya
La ville de Nagoya ne manque pas d’options quand il s’agit de choisir un hôtel, mais le Nikko Style Nagoya se démarque du reste grâce à son attention particulière portée sur le café et la musique. Le gérant, Kuniyuki Nishi, m’a expliqué qu'étant donné que les hôtels manquent souvent de bons cafés, ils ont voulu résoudre le problème grâce à une collaboration avec le café de spécialité TRUNK COFFEE et se sont équipés aussi de machines à café filtre de haute qualité. Pour ce qui est de la musique, ils ont eu recours à l'aide du DJ japonais Kenichiro Nishihara, qui a produit plusieurs heures de musique d’ambiance dont les clients peuvent profiter dans le lobby ou encore dans leur chambre via smart TV.
Pour le dîner, je me suis rendu juste à côté au restaurant Sawasho pour goûter une autre spécialité locale: l’anguille. Appelé unagi au Japon, cet ingrédient peut être servi de plusieurs façons, mais à Nagoya il est généralement servi sous la forme de hitsumabushi. Ce plat consiste en plusieurs tranches grillées et recouvertes de sauce tamari, le tout servi sur une base de riz dans un plat en bois. Vous devez séparer le plat en quatre portions: la première doit être ajoutée sans aucun ajout pour savourer le goût de l’anguille. Pour la seconde, rajoutez les différents condiments. Pour la troisième, vous y rajoutez enfin le liquide, similaire à ce que l’on fait pour l’ochazuke, qui mélange toutes les saveurs ensemble. Enfin, pour la dernière portion, vous pouvez de votre façon préférée parmi les 3 premières. Le restaurant Sawasho grille des anguilles sans vapeur, une technique de cuisson très appréciée des clients locaux.
Jour trois: Un déjeuner fait maison et une visite dans une ville féodale
KURA Cooking
Après deux jours d’explorations au sein de Aichi pour trouver les ingrédients et outils nécessaires, le moment est arrivé de créer mon produit final. Yuko Asano gère un studio de cuisine au sein d'un ancien entrepôt âge de 100 ans, nommé kura en japonais. J’ai pu apprendre cinq recettes différentes, chacune utilisant des ingrédients que j’ai sélectionné lors de mon séjour à Aichi.
- Légumes à la vapeur et crevettes: simple à préparer mais loin d'être banal grâce aux légumes tels que les patates douces et les champignons. Pour terminer, je trempais les légumes dans la sauce ponzu Ajipon prise au MIZKAN MUSEUM.
- Boules de sushi. J’ai utilisé le vinaigre Yamabuki du MIZKAN MUSEUM pour faire ces boules de la tailles de petits snacks, pour lesquels j’ai aussi utilisé un petit peu de Kunizakari.. J’en ai ensuite ramenés plusieurs à la maison pour les partager avec mes amis.
- Soupe miso. En utilisant le Hatcho miso, j’ai pu préparer une soupe miso simple mais savoureuse.
- Miso-katsu (cotelette de porc a la sauce miso). J’ai préparé les côtelettes comme expliqué par Mme Asano, sans utiliser trop d’huile, et utilise le Hatcho miso pour faire une sauce douce pour accompagner.
- Gelée japonaise. Le Uiro est une gelée sucrée japonaise qui peut être faite avec tout type de gout, j’ai donc utilisé le matcha de Nishio.
Le repas a ensuite été servi sur des plats de Seto et sur mes napperons de Arimatsu. L’ensemble reflétait parfaitement l'expérience de mon voyage à Aichi.
Inuyama
Mon voyage touchant à sa fin, je me suis acheminé vers le nord de la préfecture pour voir le château d' Inuyama, a seulement une demi-heure de Nagoya en prenant la ligne Meitetsu, qui est aussi un parmi les 5 châteaux au Japon faisant partie du patrimoine national.
Depuis le dernier étage du château, tout en haut de l’escalier, il est possible de profiter de la vue sur la ville féodale. Je me suis promené parmi les badauds en kimono, jusqu’a atteindre le IMASEN Inuyama Karakuri Exhibition Museum.Ici, j’ai pu en savoir plus sur les poupées karakuri de l’ancienne ère Edo (1603 - 1867). Ces poupées mécaniques étaient capables de faire toute sorte de mouvements et tâches, grâce à un système ingénieux, tels qu’utiliser une pelle, tirer un flèche, écrire ou encore servir le thé. Ne ratez pas l’exhibition si vous avez l’occasion de vous y rendre.
Enfin, je me suis rendu au "Dondenkan” Inuyama Festival Museum pour voir les chars des festivals, d’une hauteur de huit mètres, qui sortent du musée tous les ans en avril lors du festival du printemps. En dehors de cette période, il est possible de les voir de près en visitant le musée. Et en observant de plus près, il est possible de voir que certains chars contiennent des poupées karakuri, qui ne sont mises en exposition que lors des festivals.
A la fin de mon voyage à Aichi, je réalise enfin à quel point cette préfecture souvent ignorée a énormément à offrir.Aïchi a une culture très développée et de quoi offrir un séjour riche en expériences à tout voyageur qui s’y aventure. Pour toute personne décidant de voyager en dehors des sentiers battus, cette préfecture offre un nouveau point de vue sur la beauté du Japon.